La situation Sociale, économique, sécuritaire et même la gouvernance du Congo aujourd’hui est précaire, mais le Congo a connu des périodes relativement plus graves. Imaginez qu’un pays étranger envoie des gouverneurs pour gouverner nos provinces, des généraux pour commander notre armée, des ministres pour gérer notre éducation, notre santé, notre économie, nos ressources. Imaginez que le dirigeant de ce pays étranger soit le seul à pouvoir représenter la nation congolaise sur le plan international. Au niveau interne, imaginez que la population soit traitée en esclave sur son propre sol. Que ceux qui ne travaillent pas pour ou ne collaborent pas avec ce pouvoir usurpateurs soient mutilés et meurent de leurs blessures. Que la moitié de la population périsse du fait de ce système de gouvernance imposé de l’étranger, cruel et sans pitié. Créez cette image ou seule une petite centaine de Congolais soient autorisés à aller à l’université, pour des sujets aussi inadéquat que Latin-Philosophie ou Etymologie linguistiques et que toute connaissance sur la gouvernance ou le développement économique leur soit caché. Les citoyens Congolais les plus remarques reçoivent un statut spécial, ils sont les « immatriculés »… C’est dans ces circonstances qu’un jeune homme d’un peu plus de trente ans, immatricule de son état, Patrice Emery Lumumba décide de prendre les choses en main et de passer à l’action.
Patrice Emery Lumumba est né dans la Localite d’Onalua, dans le District de Katako-Kombe au Sankuru, dans l’actuelle Province Orientale en République Démocratique du Congo. Il fréquente l’école catholique des missionnaires puis, élève brillant, une école protestante tenue par des Suédois. A 20 ans, alors qu’il travaillait pour une compagnie minière au Sud-Kivu il se rend compte que les matières premières du pays jouent un rôle capital dans l’économie mondiale, Il se rend également compte que les cadres congolais ne sont pas mêlés à la gestion des ressources naturelles, particulièrement des richesses minières nationales. A 30 ans il crée l’Association du Personnel Indigène de la Colonie (APIC) et deviens a 31 an le Président de l’association des évolués en 1956. Il écrit un livre très modéré qui prône une colonisation pacifique du Congo par la Belgique. Ce livre intitulé « Le Congo, terre d’avenir, est-il menacé ? » ne paraîtra qu’après sa mort. Il travaille ensuite à la Poste, puis dans une brasserie. A quel moment et pour quelles raisons Lumumba se mobilise-t-il plus radicalement pour l’indépendance immédiate du Congo, à l’instar des autres révolutionnaires Africains de l’époque?
Sa prise de conscience commence en 1958, au moment où des Congolais sont invités en Belgique pour l’Exposition Universelle de Belgique. Lumumba classé modéré, appartient au parti du Ministre Belge de la Condition Coloniale (L’Amicale Libérale) et est à ce titre invité. La caricature faite du peuple Congolais dans cette exposition est très peu flatteuse. Mécontent, Lumumba rencontre et rejoint le rang des anticolonialistes de la Belgique. Le vent des indépendances souffle en Afrique. Certains pays, comme le Ghana, accèdent déjà à l’indépendance. Dès son retour au pays, Lumumba se « radicalise » et crée le 5 octobre 1958 le Mouvement National Congolais (MNC). C’est à cette époque qu’il rencontre à Kinshasa, presque par hasard, Mwalimu Julius Nyerere de la Tanzanie (Tanganyika a l’époque), Chiume du Malawi et Tom Boya du Kenya, en transit vers le Ghana ou se tient la Conférence Panafricaine d’Accra. Il se joint à eux et ils y rejoignent Kwame Nkrumah du Ghana. Cette rencontre marque fortement l’esprit du jeune patriote. A son retour à Kinshasa il organise une restitution de la conférence. Devant une foule d’une dizaine de milliers de congolais, il revendique passionnément l’indépendance du Congo.
Quelques semaines plus tard, le 4 janvier 1959, le MNC, l’ABAKO et d’autres partis indépendantistes organisent un meeting populaire a la place des martyrs (à l’époque siège de l’ YMCA) pour revendiquer l’indépendance du Congo. Ce meeting soutenu par des dizaines de milliers de Congolais de Kinshasa (Léopoldville a l’époque) n’est pas autorisé par le pouvoir colonial Belge. Héroïquement, la foule brave les barrages et se retrouve vite gonflée par des supporters mécontents du V-Club qui venaient du Stade des Martyrs (à l’Epoque Roi Baudoin) ou ils avaient perdu un match « amical » face au Mikado. La foule s’embrase et la manifestation dégénère. Pendant quatre jours les européens et les symboles du pouvoir colonial sont systématiquement attaqués, pilles, saccagés, détruits. La réaction du pouvoir colonial ne se fait pas attendre. Ils ripostent usant d’une violence extrême. Alors que les chiffres officiels parlent d’une quarantaine de morts, la réalité est bien plus grave. Les manifestants parlent de plusieurs centaines des morts. La situation est telle que pour la première fois, le Roi Baudoin et le gouvernement Belge envisagent l’Indépendance du Congo.
Pendant ce temps, Kassa Vubu, Président de l’ABAKO et Lumumba sont mis aux arrêts le 12 Janvier 1959. Le 21 janvier 1960, Lumumba est condamné à six mois de prison. Il est cependant libéré le 26 janvier 1960, pour participer à la table ronde organisée en Belgique du 20 janvier au 20 février. Au cours de cette Table ronde la Belgique discute des conditions d’accession à l’indépendance du Congo. Les indépendantistes y présentent un front unis et remportent l’Indépendance du Congo, fixée au 30 Juin 1960, après les élections du mois de mai. Le président élu est Kasavubu de l’ABAKO, très populaire dans le Bas Congo et a Léopoldville. Le MNC, parti de Lumumba remporte le plus de voix aux parlementaires et conformément à la constitution nome le Premier ministre.
Le jour de l’accession du Congo à l’indépendance, Kasavubu présente un discours adressé a la Belgique. Lumumba lui, improvise un discours présenté au Peuple Congolais. Il y décrit l’indépendance comme la victoire du peuple unis et combattant contre le pouvoir injuste colonial. Cette Independence marque une aire de paix, de liberté et de justice sociale. La presse internationale présente sur place relaie le message sur les ondes à l’échelle mondiale. Lumumba est applaudit en héros par le peuple mais les acteurs internationaux, solidaires a la Belgique le mettent en mire. L’indépendance du Congo entraine aussi celle du Rwanda et du Burundi. Certains citoyens de ces pays limitrophes reconnaissent le sacrifice des martyres du 4 Janvier 1959 et le rôle de Lumumba dans leur accession à l’Indépendance.
Le discours de Lumumba interprété comme anti-belge provoque des attaques du peuple Congolais contre les anciens colons. En pleine guerre froide Le gouvernement Belge se retire de son Front Allemand et avec l’accord de l’Otan et le soutien logistique des Etats-Unis déploie une grande force militaire pour protéger les ressortissants belges et faciliter la cession Katangaise. L’ONU envoie ses troupes identifiables a leurs casques bleus (c’est de la que vient l’appellation). Les pays Communistes et ceux du tiers monde, Particulièrement le Ghana de Nkrumah et la Tanzanie de Nyerere (à l’époque Premier Ministre) soutiennent Lumumba. Les capitalistes, (Etats-Unis en tête) soutiennent la Belgique. Face au conflit qui menace d’éclater, Joseph Kasavubu suspend Lumumba de ses fonctions. Le conseil de Ministre par contre lui exprime son soutien et Lumumba, fort de son soutien gouvernemental et parlementaire révoque Joseph Kasavubu de ses fonctions présidentielles pour haute trahison. Il prend le contrôle de l’armée et se prépare au pire pour défendre l’indépendance si chèrement acquise.
Dans ce grand chaos, un colonel de l’Armée Nationale Congolaise (ANC), Ex journaliste pro-belge, renverse le pouvoir en place par un coup d’Etat. Ce Colonel, Mobutu Seseseko Kukungbendu Wa Zabanga (Le coq chante et le guerrier va de victoire en victoire) se proclame Président et assigne Lumumba à résidence surveillée. Clandestinement, Lumumba demande à Antoine Gizenga de créer et de chapeauter un gouvernement parallèle à Kisangani (Stanleyville). Lumumba, Sa femme Pauline et ses enfants François, Guy-Patrice et Julianne, s’échappent de la résidence surveillée et tentent de gagner Kisangani à bord de sa Chevrolet. Retardé et facilement repéré par les émeutes de soutien populaire que cause son passage, Il est finalement arrêté à Lodi, dans son district de naissance (Sankuru) et est rammene à Mweka, d’où il est embarqué à bord d’un avion vers La Capitale. De là il est transféré au camp militaire Hardy de Thysville sous la garde des hommes de Louis Bobozo.
Le 17 janvier 1961, Patrice Lumumba et deux de ses partisans, Maurice Mpolo et Joseph Okito sont conduits à Lubumbashi (Elisabethville), au Katanga, et livrés aux autorités locales. Ils seront ensuite conduits dans une petite maison sous escorte militaire où ils seront ligotés et humiliés par les responsables katangais comme Moïse Tshombé, Munongo, Kimba, Kibwe, Kitenge mais aussi par des Officiels Belges sur place. Ils seront fusillés le soir même par des soldats sous le commandement d’un officier belge, sur ordre de la Couronne.
Certains Congolais pensent que la démarche de Lumumba était précipitée et quelque peu radicale. Cependant le système colonial Belge était dur, brutal et cruel. Nul n’aurait pu prédire quand et comment la Belgique nous rendrait notre indépendance si nous ne l’arrachions pas. Même après l’indépendance, l’ingérence du gouvernement Belge dans les affaires nationales et leur soutien militaire aux sécessionnistes menaçait l’intégrité nationale. Lumumba n’a fait que défendre notre droit naturel a la liberté, a l’indépendance, et le droit des peuples à déterminer leur destin. Un droit aussi fondamental que le droit à la vie, à la santé et à l’éducation pour tous, pas seulement quelques élus immatriculés. Des droits qui ne peuvent souffrir d’aucune violation sous prétexte que leurs détenteurs ne sont pas prêts à en jouir.
Patrice Emery Lumumba a mené son peuple hors de la colonisation, cette forme institutionnalisée de l’esclavage international. Mais Patrice Emery Lumumba n’a pas vu la terre promise. Nous non plus. Cependant il a laissé des jalons sur qui pourraient mener le peuple congolais au paradis qui est le leur. Il faudrait pour cela que le peuple se souvienne des valeurs qui en tout temps ont caractérisé sa lutte. De valeur de de fierté, d’unité nationale, liberté, de persévérance, d’indépendance.
Pour finir, voici un texte poignant que Lumumba écrit a Pauline, sa femme. C’est le dernier texte connu du Héros Africain :
Ma Compagne Chérie,Je t’écris ces mots sans savoir s’ils te parviendront, quand ils te parviendront et si je serai en vie lorsque tu les liras. Tout au long de ma lutte pour l’indépendance de mon pays, je n’ai jamais douté un seul instant du triomphe final de la cause sacrée à laquelle mes compagnons et moi avons consacré toute notre vie. Mais ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restrictions, le colonialisme belge et ses alliés occidentaux – qui ont trouvé des soutiens directs et indirects, délibérés et non délibérés, parmi certains hauts fonctionnaires des Nations-Unies, cet organisme en qui nous avons placé toute notre confiance lorsque nous avons fait appel à son assistance – ne l’ont jamais voulu.
Ils ont corrompu certains de nos compatriotes, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance. Que pourrai-je dire d’autre? Que mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le Congo, c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage d’où l’on nous regarde du dehors, tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir. Mais ma foi restera inébranlable. Je sais et je sens au fond de moi même que tôt ou tard mon peuple se débarrassera de tous ses ennemis intérieurs et extérieurs, qu’il se lèvera comme un seul homme pour dire non au capitalisme dégradant et honteux, et pour reprendre sa dignité sous un soleil pur.
Nous ne sommes pas seuls. L’Afrique, l’Asie et les peuples libres et libérés de tous les coins du monde se trouveront toujours aux côtés de millions de congolais qui n’abandonneront la lutte que le jour où il n’y aura plus de colonisateurs et leurs mercenaires dans notre pays. A mes enfants que je laisse, et que peut-être je ne reverrai plus, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau et qu’il attend d’eux, comme il attend de chaque Congolais, d’accomplir la tâche sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté, car sans dignité il n’y a pas de liberté, sans justice il n’y a pas de dignité, et sans indépendance il n’y a pas d’hommes libres.
Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité. Ne me pleure pas, ma compagne. Moi je sais que mon pays, qui souffre tant, saura défendre son indépendance et sa liberté.Vive le Congo! Vive l’Afrique!
Patrice Lumumba
This essay was cross-posted at Soraya et le developpement de la RDC on 16th January 2013.